mardi 15 février 2011

L'Afrique Réelle N°14 - Février 2011


























SOMMAIRE :

Actualité : Côte d'Ivoire
- La stratégie de Laurent Gabgbo
- Retour sur la partition
- Quand des africanistes deviennent des militants

Actualité : Rwanda
- Portrait de Paul Kagamé avant sa venue en France

Dossier : La marocanité du Sahara Occidental

EDITORIAL :

Le 5 janvier 2011,interrogé par Robert Ménard sur Itélé (la vidéo est visible sur mon blog), j’avais expliqué en quoi la position de Laurent Gbagbo était forte et comment, arcbouté sur la Côte d’Ivoire « utile », sa stratégie était de gagner du temps afin de mettre en évidence l’impuissance d’Alassane Ouattara. Contrairement à ce qui était alors affirmé par les « spécialistes » et les correspondants « sur place », j’avais également dit que Laurent Gbagbo n’était pas isolé et qu’il disposait de soutiens, tant en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Dans ce numéro de l’Afrique Réelle nous revenons sur sa stratégie et sur celle de l’ONU dont le but est l’assèchement financier de son régime. Le 16 janvier 2011, soit dix jours avant le début des évènements égyptiens, dans un communiqué consacré à la situation en Tunisie, j’écrivais : « Le prochain pays qui basculera sera l’Egypte (…) ». Or, si l’Egypte a été bousculée, elle n’a pas - encore ? - basculé car l’armée, au pouvoir depuis 1952 à travers Neguib, Nasser, Sadate et Moubarak demeure aux commandes. Dans la tradition historique égyptienne un « mamelouk » a donc remplacé un autre « mamelouk ». Cependant, tout ne fait que commencercar la pression de la rue sert de paravent aux Frères musulmans et parce que l’armée est loin d’être monolithique. Cette dernière est en effet composée de conscrits et de soldats de métier dont les préoccupations sont très différentes. Quant au corps des officiers, il est divisé en trois courants aux forces largement inconnues : les officiers formés aux Etats-Unis et « théoriquement » garants de la paix avec Israël, les partisans d’une république islamiste et les nationalistes.
Comment vont-ils se positionner ? Là est la grande inconnue.

Les évènements de Tunisie et d’Egypte ont mis en évidence la double tare du journalisme français qui est le non recul par rapport à l’évènement et l’engagement partisan, les journalistes s’étant, sans la moindre distanciation, faits les porte voix des manifestants. A ce sujet une distinction particulière revient à Catherine Coroller « envoyée spéciale » du journal Libération qui a intitulé son article en date du 7 février 2011 : « Comment les années Ben Ali ont pénalisé l’économie de la Tunisie ». Or, s’il est possible de considérer que le régime Ben Ali était autoritaire ou même dictatorial, on peut débattre de ce dernier point, il est en revanche insolite de lui reprocher d’avoir économiquement « pénalisé » la Tunisie. Je n’en veux pour preuve que le Rapport économique sur l’Afrique 2010 édité par la Commission économique de l’Afrique (ONU) et l’Union Africaine (voir la pièce jointe à cet envoi). En ces temps d’emballements et de vapeurs démocratiques, méditons cette phrase prononcée le dimanche 30 janvier 2011 par Theodoro Obiang Nguema, le nouveau président de l’UA (Union africaine), lors de son discours de prise de fonction : « Les concepts de démocratie, des droits de l’homme, de bonne gouvernance, ne sont pas nouveaux pour l’Afrique, mais il convient plutôt de les adapter à la culture africaine ». Le président équato-guinéen donne en quelques mots une leçon de d’ethnorelativisme à ces activistes de l’ingérence démocratique qui ont fait tant de mal à l’Afrique sud-saharienne. Plus encore, il enterre définitivement le diktat démocratique décrété à La Baule le 20 juin 1990 par François Mitterrand.
Qui osera contester la position de l’un des principaux producteurs d’or noir du continent au moment où les nuages s’amoncellent sur le pétrole arabe ?

Bernard Lugan

7 commentaires:

  1. Tout ceci me parrait plein de bon sens, que dire de plus!

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  2. Vidéo à ne pas manque de DSK louant l'économie tunisienne en 2008: http://www.youtube.com/watch?v=xEA9X6j7b_U&feature=youtube_gdata_player

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  3. Parmi les exemples du journalisme militant et partisan, je voudrais citer François-Xavier Menage, l'envoyé de BFM télé, qui parlait de 'manifestants pro-Moubarak opposés aux manifestants pro-démocratie'.

    Le camp du bien et celui du mal nous étaient désignés.

    Il m'arrive de ressentir un certain plaisir lorsque ce genre de journaliste se prend une bonne raclée.

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  4. ----- De quoi ont besoin ces peuples qui accèdent à la démocratie -----
    La vague qui vient de secouer le monde arabe n'est qu'à son début. Elle entend permettre à ces peuples arabophones qu'ils soient de l'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient de goûter finalement à la démocratie. Or ces peuples ont, dans leur quasi-majorité, toujours (depuis leur "indépendance") connu un régime à parti unique ou un simulacre de multipartisme avec à la tête de l'État un autocrate (un dictateur). Aujourd'hui ces peuples aspirent enfin à vivre en démocratie.
    L'exercice sera très périlleux pour ces peuples qui ont délogé le despote au prix de sacrifices et vies humaines comme ils l'avaient fait auparavant pour chasser le colonisateur. Passer d'une dictature à une démocratie est un chemin plein d'embûches. Et l'histoire contemporaine a bien montré comment certains et pas des moindres avaient utilisé ce tremplin pour accéder au pouvoir (Mussolini, Hitler et d'autres encore, plus récemment, que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs). Une fois leur objectif atteint, ils ont tout fait pour saper ce mécanisme pour que perdurent leur main mise et leur hégémonie. Ce qui explique davantage la fameuse phrase de Churchill :"La démocratie est le plus mauvais système de gouvernement, à l'exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l'histoire."
    Sans la corruption monstrueuse de l'époque précédente, l'humiliation ressentie par le peuple allemand (suite à la signature du traité de Versailles) et le pourrissement grandissant de la situation économique et sociale, Adolf Hitler n'aurait jamais pu, en un temps si court, réunir autour de lui l'écrasante majorité du peuple. C'était un vote par dépit pour voir les choses changer. Et cet exemple est loin d'être orphelin loin s'en faut.
    Ce système de gouvernance qu'est la démocratie repose schématiquement sur la coexistence et la séparation concomitantes des trois pouvoirs : Législatif, Exécutif et Juridique. Sa pratique par des nations relativement avancées en la matière a montré ses limites et le besoin de recourir à un quatrième voire même à un cinquième pouvoir.
    Le quatrième pouvoir, qui désignait à l'origine la presse, s'est étendu de nos jours à tous les autres types de médias (Télévision, Câble, Internet, Blogs, Twitters et autres réseaux sociaux et outils de messageries, Mobiles y compris). Il a fait ses preuves comme contre-pouvoir face aux autres pouvoirs incarnant l'État. Ainsi ce pouvoir a pu pousser Richard Nixon (Août 1974) à démissionner à la suite de son implication dans l'affaire Watergate. Et a empêché Valéry Giscard d'Estaing de briguer un second mandat (1981) suite à l'affaire des diamants.
    Ces exemples, concernant les USA et la France, montrent comment la liberté d'expression des médias peut consolider et asseoir davantage l'exercice de la démocratie au quotidien.
    La liberté des médias quand elle est exercée dans le respect de l'éthique et sans tomber dans la chasse aux sorcières éclairera le peuple tout en incitant l'élu (les élus) à être plus vigilant et plus consciencieux durant son mandat.
    Le cinquième pouvoir, rajouté tout récemment est celui de l'opinion publique (qui se détache de la presse et des autres médias, malgré une influence non des moindres de leur part sur la formation de l'opinion publique).
    De la sorte, ce cinquième pouvoir, abreuvé par le quatrième et ayant vécu les exactions du pouvoir en place sera faire la part des choses, le moment opportun et faire changer/bouger les choses. Et ce ne sont pas les Ben Ali ou Moubarak qui vont me contredire.
    Comme je le disais au début de cet article, ces peuples qui arrachent enfin le droit à la démocratie ont besoin de ces deux contre-pouvoirs pour que ceux qui arrivent et arriveront dorénavant au pouvoir ne puissent plus leur faire courber échine et les opprimer comme ce fut le cas dans le passé.
    Lotfi AGOUN
    http://lotfi-agoun.blogspot.com/

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  5. Merci Bernard,

    Continuez de nous abreuver, vous êtes brillant !

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  6. Au sujet de la Côte d'Ivoire, je serais curieux de savoir de votre part, M. Lugan, si le mode de vie musulman a joué un rôle dans le conflit. Je crois savoir que le nord du pays est musulman, comme ses voisins nordiques, et que la vie y obéit préceptes musulmans, ce qui n'est pas tout-à-fait neutre.
    Si tel est bien le cas, j'imagine que les ivoiriens du sud sont soucieux de conserver un mode de vie que j'oserais qualifier de "normal".
    Est-ce bien l'un des enjeux du conflit ?
    Dans quelle mesure ?

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  7. Aujourd'hui ces peuples aspirent enfin à vivre en démocratie.

    En est-on certain? Que sait-on des motivations des uns et des autres, de quelle étude solide d'opinion dispose-t-on?
    Les gouvernements et journalistes occidentaux aspirent à 'normaliser' ces peuples. Cela est certain. Mais quelle est l'état de l'opinion dans ces pays reste assez flou. On en saura davantage après les élections.

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